« À l’issue du second tour des élections législatives, le Président de la République va nommer un Premier Ministre sans qu’un délai précis ne lui soit imposé. Constitutionnellement, le Président de la République peut choisir de nommer qui il veut à Matignon, mais Emmanuel Macron doit s’assurer que la personne qu’il choisit sera soutenue par une majorité, comme le veut le régime parlementaire dans lequel nous sommes, qui résultent des articles 20 et 49 de la Constitution. » (Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste, le 5 juillet 2024 dans "Libération").
On l'avait cauchemardé, et ce cauchemar vient de s'échouer sur le mur de la réalité électorale et populaire : l'hypothèse d'un gouvernement RN a été exclue par les électeurs aujourd'hui, ce dimanche 7 juillet 2024, au second tour des élections législatives anticipées, malgré les tentatives de déstabilisation particulièrement scandaleuses. La vague anti-RN est telle que les dirigeants n'ont même pas osé dire qu'on leur avait volé la victoire. Il faudrait surtout demander aux médias comment, pendant quatre semaines, ils nous ont mitraillé sur l'arrivée inéluctable d'un gouvernement RN. Comment ils nous ont électrochoqués, stressés, hystérisés. Comme si la méthode Coué répétée matin midi et soir par Jordan Bardella, un gars de 28 ans qui n'a jamais rien fait de sa vie, sans expérience professionnelle, seulement payé au RN par la famille Le Pen comme apparatchik, aurait dû fonctionner pour l'amener à diriger le gouvernement de la sixième puissance mondiale sous prétexte qu'il multipliait les likes dans tiktok. Le mirage est passé, ouf.
Les journalistes et les sondeurs, trop aveuglés par leurs projections à la noix qui ne prennent jamais en compte la réalité du terrain des circonscriptions, donnaient une évidence qui n'en était pas une. Depuis plus de vingt-cinq ans, jamais la participation du second tour des élections législatives avait été aussi forte qu'au premier tour. Cette participation a dépassé quelques records. Et cette mobilisation du second tour, au contraire du premier tour, a été exclusivement focalisée pour faire battre le RN. Cela a permis de récupérer des candidats irrattrapables comme François Ruffin mais n'a pas pu sauver par exemple Caroline Fiat en Meurthe-et-Moselle.
Grâce aux désistements réciproques, la fièvre RN a limité les dégâts et les Français ont clairement dit qu'ils ne voulaient pas de gouvernement RN. Nous voilà rassurés. J'étais en fait dans une confiance relative et prudente dès jeudi et vendredi derniers à partir du moment où j'ai vu l'absence des candidats RN sur le terrain, leur absence de campagne, et leur réalité, leur CV peu attractif. J'ai été soulagé à 20 heures ce dimanche quand la surprise a éclaté : le RN s'est retrouvé relégué en troisième place parmi les trois blocs que composent la classe politique.
L'incendie est éteint, et il y a eu comme la fin d'une sorte de mauvaise aventure pendant un mois, entre la dissolution et ce second tour, comme si Emmanuel Macron avait fait deux électrochocs, le premier la dissolution et le second la perspective de l'arrivée au pouvoir du RN pour de vrai.
Pour autant, rien n'est encore joué. Le 18 juillet 2024, les nouveaux députés feront leur entrée dans l'hémicycle et la première opération sera d'élire un Président de l'Assemblée Nationale. Au troisième tour, la majorité relative suffit, en principe. Mais ce n'est pas là la difficulté.
La difficulté, c'est qu'il faut passer d'une convergence des non, non à Marine Le Pen, non à Emmanuel Macron et non à Jean-Luc Mélenchon, à une construction d'un oui. Un oui pour gouverner la France, au moins pour l'année qui vient (sans possibilité de dissolution) voire jusqu'à l'élection présidentielle en 2027. De la réussite de cette situation inédite dépendra l'avenir de la France et la capacité du RN à s'accroître encore, ou pas.
Alors que la nouvelle farce populaire a à peine plus de députés que le bloc central d'Ensemble pour la République, et que Les Républicains gagnent même des sièges par rapport à 2022, il faut se souvenir que la plupart des élus hors RN doivent leur élection par le désistement d'un concurrent de l'autre bord. Or, oublier cela, c'est faire encore prospérer le RN.
À mon sens, les déclarations de la soirée électorale vont dans le mauvais sens : Jean-Luc Mélenchon et ses sbires revendiquent Matignon, Olivier Faure insiste pour dire qu'il refuse tout programme autre que celui irréalisable du NFP, et même LR, non contents d'avoir eu chaud, refusent obstinément à faire alliance avec Ensemble pour construire un gouvernement de raison et continuent dans le stérile Macron bashing. Ils sont encore dans l'ancien temps sans comprendre que le danger du RN reste encore palpable car malgré sa défaite, large défaite, le RN a nettement amélioré sa situation d'avant 2024, notamment en augmentant de moitié son groupe, ce qui lui permet d'augmenter massivement son financement public et sa force de frappe médiatique et politique.
Seuls, Jérôme Guedj et Raphaël Glucksmann ont un discours de raison dans une gauche qui s'y croit déjà avec le grand soir. Mais non, il n'y a pas de grand soir, juste l'effet mécanique d'un front républicain qui a été très efficace (alors qu'on le disait fini) mais qui n'apporte aucune solution simple à l'élaboration d'un gouvernement : le NFP n'a aucune capacité à gouverner seul, il lui manque environ une centaine de députés, c'est beaucoup trop. Seul, le bloc central peut prétendre rassembler une majorité parlementaire. C'est clair en tout cas que ni Olivier Faure qui est totalement irresponsable et incompréhensible, ni les insoumis ni même Les Républicains sont aujourd'hui prêts à quitter leur rive commode mais inconséquente pour tenter la synthèse d'une coalition qui puisse gouverner durablement la France.
Comme dans chaque élection, le scrutin a perturbé les destins de centaines de personnalités, soit par leur élection soit par leur défaite. D'un point de vue plus personnel, nous les verrons un peu plus tard lorsque tous les résultats seront connus. Au sein de la majorité, deux personnalités se dégagent, parce qu'elles ont été réélues avec beaucoup de voix : Gérald Darmanin et aussi Gabriel Attal, le Premier Ministre qui s'est émancipé d'Emmanuel Macron. Quant aux vieux partis traditionnels, LR et le PS, il faudra surveiller le retour à l'Assemblée Nationale de l'ancien ministre Laurent Wauquiez et de l'ancien Président de la République François Hollande, très mal élu en Corrèze.
Les insoumis font après le second tour ce que les dirigeants du RN ont fait avant le premier tour : faire croire aux médias qu'ils occuperont Matignon alors que les Français n'en veulent pas. Les prochains jours promettent de belles joutes politiques. La robustesse des responsables politique sera mesurée. Et avant tout, leur esprit de responsabilité et d'ouverture. Aucun bloc n'a la majorité absolue et ne pourra gouverner sans faire des concessions avec un autre bloc.
Voici l'idée des rapports de forces avec les élus des premier et second tour, susceptibles de ne pas être définitifs et surtout susceptibles de se décliner différemment dans la répartition des groupes politiques.
NFP : 178 sièges.
Ensemble pour la République, UDI et divers centre : 165 sièges.
RN, ciottistes et divers extrême droite : 153 sièges.
LR et divers droite : 66 sièges.
Autres : 25 sièges (dont régionalistes).
Sur un total de 577 sièges, soit 289 en majorité absolue.
C'est rassurant aussi que le peuple refuse la fatalité. Il y avait une sorte de fait accompli, comme si la victoire du RN était acquise avant le scrutin, ce qui était absolument méprisant vis-à-vis des électeurs qui ne s'étaient pas encore prononcés. Chaque chose en son temps : que le peuple parle avant de commenter les sondages. Les instituts de sondages vont devoir réviser leurs modèles pour proposer des prospectives un peu plus réalistes que ce qu'ils ont imposé à "l'opinion publique", même s'ils ont pressenti l'effondrement venir.
Jamais les jours qui suivent seront aussi incertains sur le plan des institutions que depuis 1958. Une chose est claire, c'est qu'il faut sauvegarder les institutions actuelles qui ont assuré l'expression de la volonté populaire. Une petite musique fait déjà entrevoir la volonté de réformer le mode de scrutin comme si ce serait plus facile avec la proportionnelle : au contraire, elle empêcherait définitivement toute formation de majorité absolue dans le paysage politique particulièrement éclaté d'aujourd'hui. Et finalement si l'on regarde bien, la représentation en nombre de sièges est à peu près similaire à la représentation en nombre de voix dans cette nouvelle Assemblée Nationale.
La difficulté, ce sera d'abord le vote du budget, la décision politique de la plus grande importance pour le Parlement. Y aura-t-il une majorité pour un budget, et lequel, de budget, ou plutôt, laquelle, de majorité ? Pour l'instant, c'est la grande confusion. À l'évidence, tous les regards se tournent vers le parti socialiste : tant qu'il sera mélenchonisé par Olivier Faure, tout restera bloqué et le RN aura de beaux jours devant lui. Esprit de parti ou esprit de responsabilité, intérêt d'appareil ou intérêt de la nation, plat de lentilles ou vision historique : c'est le choix que devra faire chaque député socialiste, un à un, gardant toutes ses convictions mais bien conscient qu'il doit son élection, pour la plupart d'entre eux, par le désistement voire le soutien d'un candidat macroniste. Ne pas comprendre cela, c'est laisser prospérer une extrême droite encore plus excitée d'avoir loupé son hold-up du siècle.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
Résultats du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024.
Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
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Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240707-legislatives.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-18-la-fin-du-255681
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/07/article-sr-20240707-legislatives.html